Un rire d’enfant

… Qu’étais-je venue faire là, à cette heure de la journée?

Les derniers rayons de soleil s’étaient déjà dissipés, l’aire de jeu dans laquelle je me trouvais pour je ne sais encore quelle raison, et que je fréquentais tant lorsque j’avais encore l’âge de glisser, les mains en l’air, les yeux pétillants et le sourire radieux, sur le petit toboggan bleu, dormait paisiblement sous sa sombre couverture étoilée. La pleine lune veillait de sa pâle lueur sur cet endroit qui semblait alors isolé de tout espace-temps…

Pourquoi étais-je debout là, troublant cette sérénité nocturne, presque magique?

Naturellement, je devrais le savoir…L’idée du somnambulisme commençait à figurer parmi les éventuelles réponses à ma mystérieuse question quand je crus percevoir un rire d’enfant. Lointain, toutefois tout proche, comme porté par la douce brise jusqu’à mes oreilles, ce rire innocent et joyeux était venu de nulle part. Je perçus ensuite de petits pas légers et alertes sur le sable fin de l’aire de jeu. Presque simultanément, la balançoire se lit à bouger, allant lentement, très lentement, d’avant en arrière, produisant un bruit de grincement inquiétant qui perçait le silence absolue de cette nuit étrange. Mon cœur battait plus vite, ma respiration devint rapide et sonore. Soudain, j’eus froid; mes membres tremblaient et mes dents claquaient. Perturbée, je fermai les yeux et serrai mes poings.

Quelques secondes plus tard, je sentis l’air devenir plus chaud, de cette chaleur printanière si agréable. Intriguée, je ne pus m’empêcher de rouvrir les yeux…

Je ne peux décrire les émotions qui envahirent mon cœur alors. L’aire de jeu était rayonnante, animée. Des enfants insouciants couraient dans tous les sens, s’amusaient et riaient de bon cœur, de ce rire précieux que tant de gens ont perdu. Je ne savais que faire, comment réagir, ni que penser. Je devais être inquiète, effrayée même; ce qui m’arrivait était impossible, inexplicable. Mais au contraire, curieusement, j’étais heureuse. Alors que je regardais autour de moi, j’aperçus une petite fille qui s’avançait vers moi avec le plus beau et le plus chaleureux des sourires. Ce n’est que lorsque je me rendis compte que cette enfant était moi, que je me raidis sur place, troublée. L’enfant que j’étais, impassible et toujours souriante, me tendit une marguerite et m’invita à la prendre avec son regard incompréhensible. J’adorais les marguerites… Elle avait ces mêmes yeux pétillants de vie et de bonheur, les mêmes couettes ébouriffées, les mêmes joues rosées… Tout cela était invraisemblable. Ayant renoncé à comprendre quoi que ce soit, je pris la fleur, ne parvenant pas à détacher mon regard de celui de l’enfant. Tout à coup, tout le paysage commença à s’effacer. Les enfants ressemblaient maintenant à des spectres, tant ils paraissaient irréels. La version rajeunie de moi-même me fixait d’un regard doux et nostalgique qui engourdit mon corps. Elle me prit la main, gardant le même éternel sourire. Je ne m’étais jamais sentie plus rassurée, plus aimée, plus heureuse. J’entendis une dernière fois ce rire juvénile qui réjouissait mes oreilles, avant de perdre connaissance, une larme coulant sur la joue et une marguerite à la main, tandis que les premiers rayons du soleil apparaissaient à l’horizon…

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