Meurtre chez les voisins

Nada, les yeux en amande couleur noisette, le nez légèrement retroussé, les lèvres minces finement tracées, les cheveux châtains, était une jeune adolescente ordinaire de 12 ans; fille unique, menant une vie paisible avec ses parents dans une modeste maison à Rabat, au Maroc.

Elle était aimable, douce, obéissante, la plupart du temps, et laissait libre cours à son imagination. Mais elle avait un grand défaut: elle était très curieuse, au point de se soucier de tout et de n’importe quoi. Elle voulait tout le temps tout savoir.

Un jour, alors qu’elle rentrait de l’école, elle entendit, en passant près de la demeure des voisins, des voix élevées et menaçantes. Intriguée, elle ne put s’empêcher de se cacher derrière un buisson du jardin et tendre l’oreille. Elle n’arrivait pas à distinguer les mots; la fenêtre était fermée. Rongée par la curiosité, elle ne put s’empêcher de s’approcher davantage. Elle parvint alors à saisir une phrase, prononcée très fortement et d’une voix ferme: « Maudit sois-tu! Epargne cette demoiselle, ou je vous jure, messire, que je n’hésiterai pas à me servir de mon arme! ».

Apeurée, Nada prit ses jambes à son cou et se précipita chez elle. Elle ouvrit brusquement la porte et courut à la cuisine où se trouvait sa mère. Essoufflée, elle lui raconta ce qu’elle avait entendu, mélangeant les mots et les phrases, tant elle était affolée. On aurait dit qu’elle avait vu un spectre au milieu de la nuit!

Convaincue que c’était encore le fruit de son imagination, elle lui dit d’une voix calme: « Arrête de gigoter dans tous les sens et va te changer. Le goûter est prêt. ». Choquée mais aussi vexée par l’indifférence de sa mère, Nada insista, en vain. Elle était persuadée de ce qu’elle avait entendu; « Je ne suis pas folle! », répétait-elle. Cependant, elle n’avait d’autres choix que d’obéir à sa mère. Elle mangea rapidement son goûter et monta dans sa chambre. Elle n’arrêtait pas de penser à ce qu’elle avait entendu. Perdue au milieu de tant de pensées et de suppositions lugubres, elle s’endormit.

Le lendemain, Nada fut réveillée par sa mère, qui lui dit: « Chérie, debout. Il est temps de se lever, sinon tu seras en retard à l’école. » Nada se leva péniblement en traînant ses jambes. Elle avait passé une nuit agitée, hantée par des cauchemars et des rêves étranges. C’était, sans doute, à cause des événements de la veille. Elle se prépara, embrassa sa mère et partit en direction de l’école. En passant devant la demeure des voisins, elle scruta les fenêtres attentivement, espérant trouver un indice, pour prouver ce qu’elle avait avancé. Les voix qu’elle avait entendues résonnaient encore dans sa tête. l’idée qu’un crime aurait pu être commis dans la maison voisine la terrorisait. En repensant à tout cela, elle fut prise de panique et se mit à courir jusqu’à l’école, où elle passa la journée la tête dans les nuages.

Le soir, sur le chemin du retour, la même scène se produisit. Nada constata avec étonnement que le dialogue était exactement le même; les mêmes intonations, les mêmes répliques… L’affaire devenait ambiguë, de plus en plus sombre. Ce soir-là, elle retrouva difficilement le sommeil.

En se réveillant le jour suivant, sa mère la prévint qu’elle ne devait pas s’attarder sur le chemin en rentrant de l’école, car elle avait invité les voisins à partager le couscous qu’elle préparerait ce jour-là. Sur ces dires, Nada bondit du lit et s’écria: « Comment! Ce n’est pas possible! Tu ne peux pas inviter les voisins à venir chez nous! Ils ne peuvent pas venir! ». Surprise par la réaction de sa fille, la mère réprimanda Nada, en lui ordonnant de changer de ton et d’être plus aimable à l’égard des voisins. Puis, d’une voix plus douce, elle lui demanda d’oublier cette histoire et de se dépêcher pour aller à l’école. La jeune fille obéit.

Le soir venu, l’inquiétude s’était emparée de Nada à l’idée de rencontrer les voisins. Arrivée au seuil de la porte, elle fut paralysée; la peur de confronter des criminels avait comme gelé son corps. Après un instant d’hésiation, elle se résigna enfin à entrer. A peine sa main effleura-t-elle la poignée de porte qu’elle entendit les mêmes phrases de la veille et de l’avant-veille. Son cœur se serra, elle ne put faire le moindre mouvement. Elle voulut fuir, mais la panique qu’elle ressentait l’en empêchait. C’était comme si son corps ne lui obéissait plus. Elle était inquiète pour ses parents. Elle se mit à imaginer des scènes terrifiantes qui ne firent qu’augmenter sa terreur.

Soudain, elle entendit des applaudissements. Déboussolée, Nada ne comprenait plus rien. Elle ne savait plus quoi penser. Elle prit son courage à deux mains, retint son souffle, et ouvrit la porte…

A sa grande surprise, elle trouva ses parents et les voisins assis autour de la table, riant et applaudissant trois lycéens debout devant eux. Nada avait l’impression de devenir folle. Elle serait sûrement tombée en pâmoison si sa mère ne lui dit: « Ah! Enfin te voilà. Où étais-tu passée? Je commençais à m’inquiéter. A cause de ton retard, tu as raté le spectacle. Les enfants de Mr et Mme Benjalil (c’était ainsi que les voisins se nommaient) nous ont interprété une magnifique pièce de théâtre tragique. Et c’est très réussi! Ils disent qu’ils ont passé toute la semaine à répéter. ».

écrit en Novembre 2015. 

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